Philippe de Veulle, avocat de victimes du terrorisme, ancien auditeur de l’IHED et vice-Président de La Droite Libre, revient dans cette tribune publiée le 22 février dans Valeurs Actuelles, sur les échecs successifs d’Emmanuel Macron dans la crise en Ukraine.
Pour les occidentaux, c’est une violation de la souveraineté de l’Ukraine. Pour les Russes, c’est un retour aux sources de l’histoire russe, longuement détaillée par Vladimir Poutine lors de son allocution télévisée. Par ce rebondissement, le président russe veut faire comprendre qu’il ne laissera pas l’OTAN se rapprocher de plus en plus de la fédération russe, alors que le président ukrainien Volodomyr Zelensky demande toujours à y adhérer…
Dans un discours télévisé de 65 minutes, lundi 21 février, Vladimir Poutine a sévèrement jugé le régime ukrainien, après un long développement historique et politique, affichant une motivation inébranlable. Tout de suite après l’intervention télévisée, les actes ont suivi la parole par la signature de la reconnaissance des deux Républiques auto-proclamées et leurs représentants Leonid Pasetchnik (Lougantz) et Denis Pouchiline (Donetsk), ainsi que l’envoi des troupes russes pour assurer la protection des russophones du Donbass. Cette nouvelle configuration ferme la porte à la première phase diplomatique qui tentait de camper sur un statu quo, et nous voici devant un nouveau cas de figure pouvant toujours déraper vers nouvel engrenage dont l’issue dépendra des prochains jours.
Un désaveu du président Macron par le maître du Kremlin, Vladimir Poutine
Le premier constat, immédiat, est celui de l’échec de la diplomatie française et occidentale. Emmanuel Macron, jouant le mystère sur sa candidature putative pour un nouveau mandat, vient d’être désavoué
par le président Vladimir Poutine, comme il l’avait fait lors de leur rencontre du 9 février dernier au terme de cinq heures de négociation, lorsque le, Kremlin avait déclaré qu’Emmanuel Macron « n’est pas l’interlocuteur approprié » et rejeté « l’idée qu'[il] a fait des progrès pour la désescalade des tensions en Ukraine durant ses pourparlers avec Vladimir Poutine. »
Les raisons de cette « Bérézina » de la diplomatie française sont multiples et profondes. La première trouve son origine dans la politique de la France à l’endroit de la Russie, devenue hostile depuis le refus de livrer deux navires de guerre de type Mistral (BPC) commandés par la Russie, suite à la crise de Crimée en 2015. Certes, Emmanuel Macron n’était pas encore Président, mais il était conseiller du Président de l’époque François Hollande.
La deuxième est l’imposition de sanctions économiques drastiques à l’encontre de la Russie, ainsi que des interdictions visant des personnalités russes à la suite de la première crise ukrainienne et de Crimée depuis 2014, puis rehaussées en 2015. Rappelons que la Crimée, appartenant à la Russie depuis la fin du XVIIIe siècle, avait été donnée à l’Ukraine par un décret de Nikita Kroutchev en 1954, après une réunion bien arrosée.
La France n’est pas la mieux placée pour tendre la main à la Russie
La troisième est un motif de politique doctrinale. Même si Emmanuel Macron était assez hostile à la présidence américaine de Donald Trump, le choix politique du Président français est plutôt orienté vers un atlantisme sans conditions. Très à l’aise avec les démocrates mondialistes américains, il a été l’un des premiers à féliciter Joe Biden après son élection en 2020. De même, il ne faut pas sous-estimer la politique européiste d’Emmanuel Macron, l’enracinant dans le giron atlantiste, et notamment de l’OTAN, quand bien même il lui a reproché en novembre 2019, dans un moment de lucidité, d’être « en état de mort cérébrale ».
En même temps, Emmanuel Macron reste attelé à l’OTAN pour des raisons de realpolitik imposées par l’Allemagne, cette dernière n’étant pourtant plus une puissance militaire de premier ordre et dépendant donc des États-Unis, alors que la France peut assurer une protection directe grâce à son arsenal de dissuasion (300 têtes nucléaires). En témoigne la visite du nouveau chancelier allemand Olaf Scholz auprès du Président américain Joe Biden tandis qu’Emmanuel Macron rencontrait Vladimir Poutine.
Une contradiction de plus du fondement de l’UE qui est davantage basée sur la création de la monnaie unique, moteur de la finance, que sur une base solide de politique de la défense. Ce qui ferait rire a gorge déployée l’empereur Charlemagne, unique Maître et Fondateur régnant sur l’Europe, qui avait bien compris que l’unité de son empire, ne pouvait se faire que par un commandement militaire unique.
La quatrième explication s’articule par notre propre position envers la fédération russe. La France n’est en effet pas la plus qualifiée pour présenter la main tendue à la Russie : en plus de cautionner les nombreuses sanctions à son encontre, de refuser de donner l’accès aux réseaux câblés à RT France et à Spoutnik, la France se préparait, à la veille de cette rencontre, à envoyer plusieurs centaines de militaires en Roumanie, en rajout à des forces militaires françaises positionnées en Estonie (300 hommes, 12 chars Leclerc, 8 VBCI et 8 VAB).
La Russie fonde sa légitimité sur la promesse non tenue des occidentaux en 1990 de ne pas étendre l’OTAN aux anciens pays satellites soviétiques
Au fil du temps, le Président Vladimir Poutine a rehaussé la Russie au niveau d’une puissance mondiale militaire à l’influence incontestable en réussissant à repousser Daesh d’une Syrie au bord de l’effondrement et mettant un terme au risque de victoire du califat de l’état islamique. Succès russe incontestable qui contraste avec une Amérique parfois confuse et une Europe pusillanime et hésitante, en perte de rayonnement. Cela s’illustre par l’échec du retrait des troupes américaines en Afghanistan en août 2021 et l’enlisement de la politique française au Mali, après le coup d’état des chefs militaires de ce pays en août 2020. Les généraux maliens semblent se tourner vers les mercenaires de la société russe Wagner pour assurer dorénavant la sécurité du pays.
Au regard de ces éléments, le schéma de la politique internationale est en train de muer et tourne définitivement la page de celui du XXe siècle. Après leur débâcle de l’Afghanistan en août 2021, les Etats-Unis n’apparaissent plus comme le modèle idéal de démocratie “gendarme du monde”, alors qu’ils font face à une crise économique importante (par la hausse des prix des carburants et sa dette abyssale) et une paix civile fragilisée par les différentes tensions communautaires.
Le président Biden est en mauvaise posture et se trouve affaibli comme ce fut le cas pour Jimmy Carter dans les années 80…
Depuis le début de cette crise, l’Amérique multiplie les annonces alarmistes et harcèle les différentes chancelleries occidentales, à tel point que le président ukrainien Volodomyr Zelensky lui-même tentera d’apaiser son allié américain. Joe Biden, président démocrate, âgé de 79 ans, est plutôt connu pour son interventionnisme. Yougoslavie, Serbie, Irak, il ne s’est pas fait remarquer pour son pacifisme au cours de sa longue carrière politique. Il soutient aujourd’hui coûte que coûte Zelensky, tout de même embarrassé par l’affaire de son fils Hunter Biden, un temps embauché par une société ukrainienne et impliqué dans une affaire de conflit d’intérêts et de corruption pour quelques milliards de dollars. Par ailleurs, on trouve dans son entourage plusieurs anti-Poutine invétérés, tels sa vice présidente Kamala Harris ou son conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, ancien proche de Hillary Clinton, que l’on pourrait même qualifier de russophobe.
Cette crise, retentissante, est comparable à celle de Cuba en 1962. Les Etats-Unis, via l’OTAN, avaient installé des missiles nucléaires en Turquie, et en réponse les Soviétiques avaient lancé l’installation de rampes de missiles nucléaires à Cuba. Ce « bras de fer » se joua entre John F. Kennedy et Nikita Kroutchev — d’origine ukrainienne — avec la complicité de Fidel Castro, grand leader de Cuba bravant l’Amérique. Le spectre d’une guerre mondiale nucléaire était pris très au sérieux. Les Américains commençaient à fabriquer des abris antiatomiques et à faire des provisions. À l’époque, le général de Gaulle, président de la République française, que l’on pouvait considérer comme un “non aligné”, avait choisi la solidarité avec le “monde libre” face au glacis soviétique…
Le cas de figure de cette crise russo-ukrainienne est aujourd’hui l’inverse. Poutine, souverainiste déterminé, cherche à préserver la sécurité des frontières de son pays, et notamment des populations russophones des anciens pays satellites. Comme le ferait l’Amérique si, par extraordinaire, les Mexicains décidaient d’installer des bases militaires russes à la frontière des États du Texas, du Nouveau Mexique, de l’Arizona et de la Californie. L’Amérique de Joe Biden va maintenant imposer des sanctions à la Russie en accord avec l’Union européenne.
Quand la Chine s’invite…
Et pendant ce temps la Chine, en embuscade, observe et se déclare solidaire de la Russie à la suite de la reconnaissance des deux Républiques auto-proclamées du Donbass. L’Amérique se retrouve ainsi prise en tenaille par des risques de crise de grande intensité pouvant entraîner un conflit d’envergure dans la mer de Chine, où l’île de Taïwan est un objectif chinois (cela figure dans sa constitution). La défense de l’île de Taïwan par les États-Unis est un point d’honneur, un Rubicon, une ligne rouge à ne pas franchir. Cette nouvelle posture atlantiste nous oblige et fragilise les équilibres internationaux et énergétiques.
C’est un autre point sensible de la géopolitique mondiale, car la Chine, entretemps, est devenue une puissance militaire de premier plan. La France, siégeant dans le commandement intégré de l’OTAN, se retrouverait par le jeu des alliances adversaire et ennemi de la Chine en cas de conflit.
Un Talleyrand n’aurait jamais pu conseiller à un empereur ou un roi de se mettre dans une telle posture.
Cette nouvelle impasse nous amène à nous poser certaines questions. La France de 2022 peut-elle se permettre d’avoir des adversaires, voire des ennemis de cet ordre, de cette puissance, de cette dimension ?
D’un côté, l’UE mène une politique diplomatique nourrie avec la Chine et de l’autre, elle tient la Russie à distance par l’application de sanctions économiques inefficaces pénalisant tout autant celui qui sanctionne et celui qui est sanctionné. Ne serait-ce pas le moment de prendre du recul, de réfléchir à notre propre situation interne, alors même que nous avons perdu le contrôle d’une partie de notre territoire et que la question civilisationnelle se fait sentir ?
Ne faisons-nous pas fausse route, en nous alignant sur les États-Unis ?
Peut-on se permettre encore de donner des leçons au nom de nos alliances diplomatiques et militaires surannées, des droits de l’Homme, qui sont bafoués sur notre sol, par une délinquance et une criminalité décomplexée, par manque d’autorité de l’état et de notre justice?
Pouvons-nous nous associer plus longtemps à un allié historique comme l’Amérique, que nous avons aidé pour sa guerre d’indépendance, obtenue le 4 juillet 1776, par l’engagement politique du roi Louis XVI ? Devons-nous rester à jamais redevable de l’entrée en guerre en 1917, lorsque Clémenceau s’exclamait « j’attends les tanks et les Américains », du débarquement du 6 juin 1944, mis en chanson par Michel Sardou dans Si les Ricains n’étaient pas là… ?
L’Amérique de ce XXIe siècle n’a-t-elle pas changé, ne s’est-elle pas éloignée de son idéal de l’après-Seconde Guerre mondiale?
Ne faisons-nous pas fausse route, avec un allié qui nous pousserait dans des conflits qui ne sont pas les nôtres et dans lesquels nous n’avons aucun intérêt ?
Ne mettons-nous pas en danger notre approvisionnement énergétique avec le gazoduc Nord Stream 2 (1 230 km de long), dont l’installation a été financée pour partie par le géant russe Gazprom et pour autre partie par des partenaires européens (le français Engie, les allemands Uniper et Winstershall, l’autrichien OMV et l’anglo-néerlandais Shell) ? Rappelons que ce gazoduc, qui a coûté 950 millions d’euros, est aujourd’hui contrôlé à 100% par la Russie. Cela nous permet un approvisionnement en gaz à moindre coût, limité notre dépendance à d’autres fournisseurs comme le Qatar, l’Algérie, la Libye et du gaz de schiste américain…
Ne devons-nous pas prendre du recul, et renouer avec une souveraineté nouvelle et pragmatique dans l’intérêt de notre avenir proche et lointain ?
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